Saint-Etienne, le 19 mars 2020.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Chers partenaires,
Chèr.e.s ami.e.s de la Comédie de Saint-Etienne,
Plusieurs jours déjà que je souhaitais vous écrire mais comme beaucoup d’entre vous, il a fallu parer à l’urgence et organiser l’arrêt brutal de nos activités, l’organisation du télétravail et la protection de chacune et de chacun.
Cette belle ruche qu’est habituellement la Comédie de Saint-Etienne, dédiée à la création, à la découverte, à la rencontre est, à présent et pour un temps incertain, une belle endormie…
C’est parfaitement inédit ; c’est triste aussi de voir tous nos enthousiasmes et toutes nos excitations à venir réduites à une sorte de silence sidéré, dans la crainte d’un mauvais cauchemar informe et pourtant présent.
Comme nous vous en avons déjà informé, la Comédie est fermée depuis lundi dernier et jusqu’à nouvel ordre.
C’est un crève-cœur.
Le mois de mars (un des rares sans vacances scolaires) est toujours très foisonnant. Nous venions tout juste de commencer les représentations de Tiens ta garde avec le Collectif Marthe ; nous nous apprêtions à jouer Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad (le décor est monté, les comédiens avaient répété sur notre plateau la veille) ; la promotion 29 finissait une traversée endiablée des grands textes de Molière avec Vincent Garanger, la promotion 30 allait commencer avec Olivier Martin Salvan deux créations itinérantes de la jeune autrice Haïla Hessou ; nous étions en tournée avec notre Candide et en itinérance dans les villages de la Loire et de la Haute-Loire avec La bêtise ; près de 400 jeunes (majoritairement issus des quartiers dits prioritaires) découvraient la pratique théâtrale via notre projet Ensemble ; nos élèves de la Classe préparatoire intégrée passaient leurs concours d’entrée dans les huit écoles supérieures d’art dramatique qui recrutent cette année… Enfin,deux jeunes stagiaires africains du groupe ELAN étaient également accueillis dans notre École et sont désormais confinés à Saint-Etienne…
Au-delà de notre désolation de ne pas pouvoir vous présenter tout ce pourquoi nous avions tant travaillé depuis des mois, voire des années, je voulais partager avec vous ce que m’inspire cette crise inédite.
Mon métier est pour moi une passion. Aujourd’hui plus encore, je réalise la chance que j’ai de pouvoir l’exercer librement et avec l’appui des pouvoirs publics. En temps normal, aucune journée ne ressemble à une autre. J’ai plaisir à travailler en groupe, à inventer des projets, à être acteur de ma ville, de mon territoire. Je me nourris de cette énergie collective qui est quotidiennement à l’œuvre à la Comédie.
Un théâtre est une utopie concrète. Il est un lieu ressource pour rencontrer, partager, s’étonner. Ici, la mixité, l’attention aux autres – quelle que soit l’origine, l’âge, la condition – ne sont pas de vains mots : ce sont nos réalités. Au quotidien et sans relâche, nous concilions des forces apparemment contraires : l’excellence artistique et l’ambition populaire ; notre ancrage territorial et notre rayonnement international ; notre dynamique publique et notre goût pour des aventures inédites…
L’expérience du confinement à domicile vient bouleverser tout cela en nous tenant, pour un temps incertain mais à priori assez long, à distance les uns des autres.
Si je comprends bien et soutiens naturellement cette mesure sanitaire concrète et physique pour protéger les plus fragiles d’entre nous et tenter d’éviter ainsi une épouvantable catastrophe ; je pense néanmoins qu’il nous faut continuer de penser et d’agir solidairement et collectivement.
En clair, le temps ne doit pas être au repli et au chacun pour soi mais à l’invention de nouvelles solidarités.
Les employeurs, bénéficiant comme nous d’un soutien public conséquent, doivent montrer l’exemple et rassurer.
Pour le mois de mars, nous avons d’ores et déjà décidé de maintenir la rémunération nette pour l’ensemble de nos salariés permanents et intermittents travaillant pour le Centre dramatique national et/ou l’École supérieure d’art dramatique – y compris pour celles et ceux contraints au chômage technique – et d’être clairement en soutien des compagnies programmées.
En l’absence d’éléments réels nous aidant à évaluer une date précise de réouverture et dans la mesure où le service de billetterie est bien entendu fermé, je vous propose de votre côté de bien vouloir patienter avant de nous demander votre éventuel remboursement ou mieux, si cela vous est possible et si vous souhaitez soutenir notre démarche, d’y renoncer. Plusieurs d’entre vous, nous ont d’ores et déjà fait part de cette intention (qui équivaut à un don) et je les en remercie très sincèrement.
Évidemment, nous chercherons à reporter tous les spectacles et évènements qui n’auront pas pu avoir lieu.
Nous commençons déjà à imaginer et à espérer ce temps joyeux où nous pourrons à nouveau tous nous retrouver et nous étreindre sans crainte.
D’ici là, je remercie très chaleureusement et souhaite courage à toutes celles et tous ceux qui vont se battre contre cette maladie ; toutes celles et tous ceux qui vont nous permettre de continuer à nous alimenter sereinement ; toutes celles et tous ceux qui vont nous permettre de continuer à vivre et à rester en contact les un.e.s avec les autres.
Amitiés sincères,
Arnaud Meunier